La loi de finances a largement ouvert la possibilité aux maîtres d’ouvrages publics de passer des marchés de conception-réalisation pour des travaux de rénovation énergétique dans le cadre du plan de relance. Le Conseil constitutionnel a jugé qu’il s’agissait d’un « cavalier budgétaire », et l’a donc supprimée.
Le Gouvernement l’avait proposée. Les deux assemblées l’avait votée. La dérogation au principe général d’interdiction de passation des marchés de conception-réalisation par des maîtres d’ouvrages publics, qui connaît déjà quelques entorses, devait être singulièrement élargie avec une disposition de la loi de finances pour 2021, ouvrant cette possibilité pour les travaux de rénovation « visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments » publics, et lancés dans le cadre du plan de relance. L’objectif principal de cette dérogation, selon le Gouvernement qui l’a fait passer via un amendement à l’Assemblée, était « d’accompagner les travaux de rénovation énergétique des bâtiments d’État et universitaires en matière de conception-réalisation ».
Mais les gardiens de la constitution en ont décidé autrement. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré qu’il s’agissait d’un « cavalier budgétaire », comme il existe des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire une disposition qui, concrètement, n’a rien à faire dans le texte au sein duquel elle a été adoptée. C’est l’une des sept dispositions retoquées cette année, parce qu’elles « ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l’État », explique le Conseil dans sa décision du 28 décembre.
Plusieurs dérogations existent déjà
Le code de la commande publique définit le marché de conception-réalisation comme un marché de travaux permettant à l’acheteur de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l’établissement des études (la conception) et l’exécution des travaux (la réalisation). Cet article interdit par principe aux maîtres d’ouvrages publics (État, collectivités territoriales et leurs établissements publics …) de conclure un marché de conception-réalisation. Cette interdiction ne s’applique pas aux organismes HLM.
Ce principe de séparation de la mission de maîtrise d’œuvre de celle de l’entrepreneur résulte de la loi Mop de 1985. Il a toutefois été atténué par la loi pour des raisons techniques ou environnementales, rappelle la commission des finances du Sénat dans sa présentation du projet de loi de finances. Ainsi les maîtres d’ouvrages sont autorisés à avoir recours à des marchés de conception-réalisation si des motifs d’ordre technique rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage. La loi Grenelle 2 de 2010 a étendu cette possibilité aux projets comportant un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique, puis la loi Elan de 2018, à la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur.
L’ouverture de la conception-réalisation est « une régression » pour l’Ordre des architectes
Cette décision constitutionnelle devrait satisfaire les architectes, qui dénonçaient, par la voix du président du Cnoa, Denis Dessus, en novembre auprès de Batiactu, un amendement qui « facilite la captation de la commande par les grandes entreprises ». « Motiver cette nouvelle ouverture du marché de la réhabilitation aux grands groupes sous le seul argument du gain de temps, argument qu’aucune étude sérieuse ne confirme, est-il raisonnable, d’autant que la réhabilitation est un secteur investi jusque-là par les artisans et PME du BTP ? », s’interrogeait-il, jugeant que ce texte « constitu[ait] une régression et non le bond en avant attendu ».
Le Conseil constitutionnel, qui ne s’est pas prononcé sur la validité de la disposition en tant que telle, a de fait laissé toute possibilité au Gouvernement de la réintroduire à l’occasion d’un nouveau texte. Reste à savoir quand cela sera le cas.